Djemaà-Saharidj est la patrie de ce grand et digne poète anonyme que fut L'hadj Arezki Ouhouach (de la famille "Ihouwachen", issue des "At Ahmed", une grande famille de guerriers berbères, ayant émané d'Espagne via Rio de Oro, laquelle s'installera à la Qalâa des Beni-Abbas avant de détacher l'un des siens qui ira élire définitivement domicile dans cette contrée lointaine de la Kabylie du Djurdjura, lequel lieu portera plus tard le nom de "Djemaà-Saharidj").
Arezki Ouhouach est né en 1838 (le registre matrice d'état civil de la commune de Mékla porte : "Âgé de 55 ans en 1893") à Djemaà-Saharidj, dans la circonscription d'Aït-Fraoussen.
Il décéda, selon son fils Tahar, en 1927, à l'âge de 89 ans. Arezki Ouhouach se maria successivement à deux femmes. La première ne lui donna aucun enfant. Du deuxième lit, il eut une fille, Malha, et beaucoup plus tard, un garçon qui sera prénommé Tahar.Sa seconde épouse, qui sera atteinte d'une grave maladie laquelle l'alitera assez longtemps, le laissera veuf une fois de plus mais cette fois père. Ce sera alors Malha qui, au seuil de son adolescence, se verra contrainte de prendre en charge et la maison et l'éducation de son petit frère. L'hadj Arezki, pour sa part, demeurera veuf jusqu'à la fin de ses jours.
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Ses premiers pas dans la poésie:
Issu d'une famille modeste, pour ne pas dire pauvre, Arezki Ouhouach sera berger dès son tout jeune âge. Par conséquent, il ne faillira pas à la traditionnelle flûte afin de meubler, sans doute, le temps passé dans les pâturages. D'airs musicaux à la rime, il n'y a qu'un pas que notre poète en herbe franchira, et ce, dès l'âge de douze ans.
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Son pèlerinage à la Mecque:
L'environnement immédiat, dans lequel évoluait notre berger poète fera de lui un croyant et un pratiquant fervent, et ce, dès sa petite enfance. Aussi, et suite à un concours de circonstances, il se rendra très tôt, âgé à peine de seize ans, en pèlerinage à la Mecque.
Ce jour là, rentré, comme de coutume, des pâturages, il s'affaissa sur son lit de paille pour prendre un moment de répit avant d'avaler le maigre déjeuner et de reconduire son troupeau vers la plaine. Soudain, il entendit le chant doux des futurs pèlerins de la localité, en tournée pour la collecte traditionnelle. Il se leva et se précipita aussitôt, au dehors, vers la foule jusqu'à se retrouver "inconsciemment" au centre du groupe.
L'homme portant le drapeau ad-hoc l'attira promptement de son côté et lui caressa le visage de l'étoffe sainte. Le jeune Arezki Ouhouach se vit alors contraint de faire le pèlerinage à la Mecque faute de quoi ce serait une trahison au Prophète Mohamed (que le salut soit sur lui). Son père, M'hand; fit alors l'impossible pour procurer les moyens financiers nécessaires à cet événement imprévu.
Le jour "J", notre pèlerin se rendit avec ses pairs, à dos de cheval, au port d'Alger. A cause des maintes escales, en cours de route, pour se reposer ou se restaurer, le groupe rata le départ du bateau-bus dont le pavillon battait déjà au large. Nos candidats au pèlerinage recoururent, pour ce faire, à un petit voilier de marins-pêcheurs.
Le petit navire de fortune fut pris dans une violente tempête... Cette douloureuse expérience marquera tous les occupants du voilier. L'embarcation, qui manqua à maintes reprises de chavirer, Tanga au grés des vagues déferlantes. La situation fut si désespérée que le commandant de bord usa d'un dernier recours en faisant appel aux pèlerins pour qu'ils demandent recours au Tout-Puissant. Dans un affolement total, les pèlerins se mirent alors à prier ardemment, frénétiquement. Le vacillement du voilier témoigne de l'urgence des secours auxquels ils appellent. La panique gagna tous les passagers, marins compris...
Notre pèlerin-poète, en guise de cris de détresse, avant de tomber raide, sans connaissance, lança ce vers : "Anna$ anda tellamt a tuooal timeéyanin !" (Où êtes-vous ô veuves si jeunes !).
Sa dernière pensée, avant de s'évanouir, fut pour une jeune veuve de son village, à qui il prêtera, en songe, cette réplique : "Nei, tessumelm-a$, appan sfina -nnwen !" (ça suffit, vous nous agacez, voilà votre navire !).
Le périlleux périple faillit coûter la vie à tous les passagers. Miracle ! La tempête se calma; le bateau retrouva son équilibre et poursuivit, en toute quiétude, son trajet marin avec, à son bord, tous ses passagers dont le jeune Arezki Ouhouach, se remit, tout ébahi, de son évanouissement. Cette effroyable mésaventure lui inspira, alors, trois poèmes que voici :
Le premier :
£li$ deg lebêeô s lqed
Leslak ulaêed
Alama êudden ûûalêin
Lmuja kul ta téedm-ed
Iéôi-w yemmaôm$-ed
£ef leêbab wid neppissin
Mi d Öebbi ma yxelli êed
Ay ul tfikô-ed
Wissen an-neffe$ d ssalmin.
Le second :
£li$ deg lebêeô neblae
Lêut la yneccae
Lmuja la d-psifi
Sfina cudden-as teqlae
Ul'anda i p-neqvae
ÔÖôayes ieemmed-i yunf-i
Mi d Öebb'aêbib neqquôae
A nezger a nemnae
£uô-es ay tella ddwa ccafi.
Le troisième :
£li$ deg lebêeô yewsae
G rrif ar lqae
Ur d-ibbwi êed lexbaô-is
Qlil deg medden akw îîmae
Sudden a yi-sseblae
Kul wa d ag-hedder wul-is
Mi d Öebb'aêbib d amcafee
Iwaeed a nemnae
Qbel ôôuê mazal ye$vis.
Quelques temps après son retour de pèlerinage, L'hadj Arezki reçoit, par personne interposée, un poème-message de son confrère et ami Si Mohand Ou-M'hand, dans lequel il lui dit :
A Lêao wukkud nemêemmal
A lfahem bbw-awal
Nek yid-ek g zzik nemyussan
Aîîas deg lebêuô mi yval
Itubae leêlal
Yexv'i webrid n cciîan
Ar Mekka ur nesei lmital
Mm nnuô am lehlal
Iêuo mazal-t d ameéyan.
L'hadj Arezki, de son côté, lui répondit aussitôt par ceci :
Ppxil-ek a loid tissinev
Imi $-d-ketbev
A k-en-ninni lehdur nessen
Ur ppeddu d win tifev
Ar deg-s twesxev
Zwamel ad fell-ak vûen
Lbavna-k êader a p-temlev
Ap-pepwaeemlev
G lqeôn-a medden akw densen.
Certaines sources avancent que les deux poètes ne se seraient jamais rencontrés et ne se seraient connus qu'à distance.
D'autres, par contre, affirment que si Mohand Ou-Mhand se serait rendu à Djemaâ-Saharidj, dans le but précis de rencontrer et de faire connaissance de son confrère L'hadj Arezki Ouhouach. Ces sources racontent qu'arrivé devant le seuil du premier café, à l'entrée du village, il aurait lancé tout de go : "Mlet-iyi anwa ay d îîiô ur nesei afriwen" (dites-moi qui est l'oiseau dépourvu d'ailes).
Aussitôt, une voix lui aurait répondu du fond de la salle : "D-ul" (c'est le cœur).
Et à Si Mohand Ou-M'hand d'ajouter alors, à l'adresse de son interlocuteur : "Ihi d keç ay d Aôeéqi Uêewwac; d keç $ef ay deg i pnadi$" (c'est donc, toi Arezki Ouhouach; c'est après toi que je cherchais).
Selon les mêmes sources, ce serait donc là la première rencontre entre les deux poètes.
Sa visite à la Confrérie de Sidi M'hand Oumalek
Durant sa jeunesse, Arezki Ouhouach se trouva, à une certaine periode, contraint de faire le meddah pour subvenir aux besoins de sa petite famille.
Un jour, ses randonnées le conduisirent à Tifrit n At Oumalek. Une étape décisive dans sa vie, de par sa visite occasionnelle à la confrérie de Sidi M'hand Oumalek, nuit tombante oblige, afin d'y trouver refuge jusqu'à la levée du jour.
Après la dernière prière de la journée, Arezki Ouhouach s'approcha des étudiants de la Zaouïa et commença à leur déclamer des poèmes avant d'entamer des cantiques. Les jeunes étudiants s'y intéressent tellement qu'ils ne le quittèrent pas une seule seconde. Le temps passa alors si vite que l'appel à la prière du Fadjr retentit sans qu'ils s'en aperçurent.
La prière matinale passée, les fidèles commencèrent à quitter le lieu. Alors qu'il s'apprêtait à en faire autant, notre poète est cordialement invité par le cheikh à y rester. Ce qu'il fit de bonne grâce: qui oserait répondre par la négative à pareille invitation hospitalière ?
Le maître de la confrérie fit également appel à ses jeunes étudiants qui, comme à l'accoutumée, s'empressèrent de former un demi cercle face à lui. Désignant notre poète, le maître exposa les motifs de ce rassemblement : "J'ai retenu cet étranger qui s'apprêtait à partir; je l'ai retenu parce que nous lui devons récompense pour avoir animé la nuit durant la zaouïa de sidi M'hand Oumalek".
Il prit aussitôt après le livre (un ensemble de feuilles volantes, reliées entre elles par une couture, formant ainsi un genre de gros registre dans lequel l'ancêtre fondateur consignait ses orientations) de Sidi M'hand Oumalek, l'ouvrit, le parcourut un instant, comme par un rituel d'inspiration, puis, une fois ce devoir accompli, le referma délicatement.
Il s'adressa à nouveau vers son auditoire : "Sidi M'hand Oumalek a écrit que ce que diraient ses successeurs à la tête de la zaouïa, c'est lui qui l'aurait dit. Aussi (s'adressant cette fois-ci directement à L'hadj Arezki Ouhouach), nous te faisons trois vœux :
- Tameict n lisser
- Nerra afus-ik d lêemmam
- Nerra aqerruy-ik d aceôcuô bw-A$balu".
Le maître nota ensuite ces trois vœux, énoncés solennellement, sur du papier de format réduit, qu'il plia ensuite plusieurs fois avant de le mettre entre deux petites feuilles de laiton pour en faire une amulette qu'il accrocha aussitôt après au "ppabut" de Sidi M'hand Oumalek.
On rapporte que, depuis, L'hadj Arezki Ouhouach connut une évolution considérable dans le domaine poétique et que ce fut depuis ce jour-là qu'il se mit à composer sur le Prophète Mohamed (que le salut soit sur lui) et tout ce qui a trait à l'Islam.Selon Tahar (le fils du poète), L'hadj Arezki Ouhouach aurait apporté son secours à de nombreux malades, et ce, grâce aux pouvoirs qui lui ont été conférés par la confrérie de Sidi M'hand Oumalek;
Enfin, plus tard, Tahar commença à travailler dans l'ébénisterie (sculpture sur bois) avant de s'installer, par la suite, à son propre compte;
Le père et le fils connurent certes une certaine prospérité qui les mit, enfin, à l'abri du besoin. Ils s'achetèrent même quelques propriétés et construisirent une nouvelle demeure.
Grâce à cela, notre poète vagabond connut enfin des jours meilleurs et s'adonna allègrement à sa passion poétique... une passion qui lui fit une renommée qui dépassa, et de loin, sa localité pour parvenir jusqu'à la capitale Alger.
Mouloud HAOUCHE(petit-fils du poète)